Les écueils de la connexion permanente
par Moustafa Zouinar, ERGONOME
L’usage de plus en plus massif des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les entreprises ne cesse de transformer les activités des salariés. Par exemple, le courriel est progressivement devenu un outil de communication interne indispensable: écrire et lire des messages sont aujourd’hui des activités à part entière qui occupent une partie importante du temps de travail, en particulier chez les cadres. Ce travail de communication, qui est encore peu reconnu comme tel, n’est plus seulement réalisé au bureau mais partout et n’importe quand : à la maison, dans les transports, le soir, le week-end, au cours des vacances, etc. Cette transformation est amplifiée par les usages permanents du téléphone mobile, qui accentuent la porosité entre vie au travail et vie hors travail. Dans de nombreuses entreprises, travailler c’est de plus en plus communiquer à travers toutes sortes d’outils comme la messagerie électronique (e-mail, messagerie instantanée), le SMS, la visioconférence ou, plus récemment, les réseaux sociaux. La communication dans l’entreprise est ainsi de plus en plus fortement médiatisée, au point de devenir quasi permanente. Mais l’usage de ces outils, en particulier le courriel, s’est accompagné de conséquences inattendues, surtout chez les cadres: par exemple, de nombreux salariés se sentent sollicités en permanence et débordés par la profusion des messages, évoquent une augmentation de la pression temporelle et une fragmentation de leur travail, estiment ne plus pouvoir contrôler le rythme et la qualité de leur travail, vivent mal la perte de la politesse et la désincarnation des rapports sociaux, ou s’inquiètent de la traçabilité de leurs communications. Pour ces salariés, le travail devient une source de souffrances et d’inquiétudes.
La prise de conscience de ces conséquences par les entreprises a conduit à l’idée de réguler l’usage du courriel. Par exemple, certaines organisations expérimentent des «journées de travail sans e-mail», d’autres suspendent le fonctionnement de la messagerie le soir ou proposent aux salariés des chartes de bonne utilisation du courriel. On parle même d’un « droit à la déconnexion ». Mais ces mesures suffiront-elles à enrayer ces conséquences sur le long terme? Ne sont-elles pas liées à des questions plus globales qui concernent les modes contemporains d’organisation du travail qui imposent progressivement et subrepticement une connexion et une disponibilité permanentes? Toucheront-elles également et de la même manière la jeune génération habituée à l’utilisation de ces outils?
Texte tiré de l’ouvrage « le Bonheur au travail ? » Le Cherche Midi