Voici la lettre ouverte à M. Macron, M. Ferracci et M. Dufourcq à la suite des premiers détails communiqués par la Direction le 10 avril 2025, sur son projet de restructuration de STMicroelectronics, que nous contestons car il vise à délocaliser de la production des sites de Crolles et de Tours en Asie, et à supprimer des emplois, dans un contexte où l’entreprise reçoit beaucoup d’argent public, depuis de nombreuses années.
Nous avions sollicité ces trois messieurs dès novembre 2024 pour les alerter de ce qui pourrait être annoncé et pour leur demander une rencontre, mais ils ne nous ont jamais répondu.
En parallèle de cette lettre, nous avons pris contact avec les députés des départements concernés par les annonces de ST.
LETTRE OUVERTE À L’ATTENTION DE
M. Emmanuel MACRON, Président de la République
M. Marc FERRACCI, Ministre de l’Industrie et de l’Énergie
M. Nicolas DUFOURCQ, Directeur général de Bpifrance
et Président du Conseil de Surveillance de STMicroelectronics
Messieurs,
Dès le 13 novembre 2024, nous vous avons interpellés à la suite d’une déclaration préoccupante de M. Jean-Marc Chéry, CEO de STMicroelectronics, en date du 31 octobre 2024, lors de la présentation des résultats Q3 2024. Celle-ci indiquait déjà : « nous lançons un nouveau projet d’entreprise pour remodeler notre implantation industrielle, accélérant nos capacités de production en silicium vers le 300mm (Agrate-Italie et Crolles-France), et en carbure de silicium vers le 200mm (Catane-Italie et Chongqing-Chine), et redimensionnant notre base de coûts globale ».
Nous vous alertions sur le fait que cette déclaration annonçait une restructuration majeure de STMicroelectronics, rejoignant le récent cortège de casse sociale et industrielle en France et en Europe. Nous vous sollicitions pour vous rencontrer, sans succès.
Le 10 avril 2025, le couperet est tombé :
- Arrêt de la ligne de production Front-End 150mm du site de Tours pour la délocaliser en Asie.
- Arrêt de la ligne de production Front-End 200mm du site de Crolles. Les productions 200mm arrêtées iront en partie charger la ligne de production Front-End 200mm du site de Rousset (chargée actuellement à 70% de sa capacité, mais sans savoir si ce manque de charge est conjoncturel ou structurel !), et pour le reste elles seront délocalisées en Asie.
- Suppression de 2800 emplois directs dans le monde, « sur la base du volontariat », en plus de l’attrition naturelle. Ces destructions d’emplois seront très vraisemblablement majoritairement en France et en Italie, puisque ce sont les deux seuls pays qui voient des lignes de production arrêtées.
Pour le site de Tours, nous avons appris que l’activité GaN (Nitrure de gallium sur silicium) allait se réduire à peau de chagrin, en étant elle aussi délocalisée, alors que cette activité était présentée comme un facteur de croissance pour le site, et qu’elle fait l’objet de subventions publiques, entre autres, dans le cadre d’un IPCEI (Projets Importants d’Intérêt Européen Commun).
Pour le site de Crolles, nous avons également appris que la ligne de production Front-End 300mm du site de Crolles, visitée par M. Macron, Président de la République, le 12 juillet 2022 allait être chargée avec de vieilles technologies. Lors de cette visite, M. Macron a validé le versement d’un plan d’aide publique pouvant atteindre 2,9 milliards d’euros, devant conduire notamment à la création de plus de 1000 emplois sur le site de Crolles. À ce jour, nous sommes bien loin de cette réalité, et nous considérons que l’utilisation de vieilles technologies pour charger ce qui doit être le plus grand centre de production de semi-conducteurs avancés français et l’un des plus importants d’Europe est un aveu d’échec concernant la stratégie déployée par l’entreprise.
Ensuite, lors de son audition du 1er avril 2025, dans le cadre de la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, M. Chéry a précisé qu’en 2023, l’entreprise a bénéficié de 487 M€ d’aides publiques, dont 331 M€ de subventions dans le soutien aux investissements et à l’innovation, 122 M€ au titre du crédit impôt recherche, et 34 M€ sous forme d’allègements ou d’exonérations de cotisations sociales. Il a également indiqué que dans le même temps STMicroelectronics a distribué 212 M€ de dividendes et a racheté 228 M€ d’actions. M. Fabien Gay, Rapporteur de la commission, a indiqué de son côté que le groupe avait payé en 2023, moins de 100 000 euros d’impôt sur les sociétés en France, contre 616 millions d’euros à échelle du monde. Cette affirmation n’a pas été contredite par M. Chéry. M. Olivier Rietmann, Président de la commission, a également estimé que « les aides publiques ne sont pas faites pour que vous alliez payer des impôts ailleurs. Elles sont faites aussi pour que vous créiez de la richesse pour notre pays. Je trouve que la France ne s’y retrouve pas ».
Il est donc clairement mis à l’évidence, une nouvelle fois, qu’une multinationale peut percevoir de l’argent public sans aucune contrepartie. Or, ici l’État français est actionnaire de l’entreprise et devrait largement s’exprimer s’il souhaite vraiment protéger le bien commun des citoyen-nes.
Sur la question de l’optimisation fiscale pratiquée par STMicroelectronics, nous avions déjà alerté le 9 juin 2021, M. Bruno Le Maire, alors Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Et le 2 juillet 2021, le chef de cabinet de M. Le Maire nous avait indiqué que l’administration a été mandatée pour enquêter sur le sujet. A ce jour, nous attendons toujours les résultats de cette enquête.
Enfin, nous avons pris connaissance des soutiens apportés par M. Ferracci et M. Dufourcq à M. Chéry et à la stratégie du groupe, et nous regrettons que vous n’ayez pas pris le temps d’échanger avec les représentants du personnel qui vous ont sollicités, afin de vous apporter leur vision de la situation actuelle.
Pour nous, le projet actuel n’est pas une simple transformation de l’entreprise, comme le martèle la Direction du groupe, mais bien un projet de restructuration, de délocalisation et de destruction d’emplois dans le monde, et plus particulièrement en France et en Italie. Ce projet déstabilise et fragilise bon nombre de sites en France et en Italie, et n’augure rien de bon pour les prochaines années, pour la pérennité et le développement de STMicroelectronics ainsi que pour la souveraineté de l’Europe dans les semi-conducteurs, tel que le prévoit l’European Chips Act.
Nous considérons qu’au vu de l’argent public engagé, des contreparties et des garanties doivent être obtenues concernant l’outil industriel et les emplois. Nous considérons également que de manière générale, les représentants de l’État ne devraient pas accompagner la casse industrielle et sociale, et que spécifiquement du fait que l’Etat est à la fois actionnaire et financeur de STMicroelectronics, ils devraient être à l’écoute de toutes les parties prenantes de l’entreprise, et pas seulement de la Direction.
Dans l’espoir que vous porterez attention à notre nouvelle sollicitation, nous sommes à votre disposition pour une rencontre.
Recevez, Messieurs, nos salutations syndicales.
Grenoble, le 16 avril 2025,
La CGT STMicroelectronics France