SANTE : Restitution au CHSCT de ST Grenoble de l’Expertise sur les ePA de ST.

Le 27 Novembre 2012, le cabinet d’Expertise SECAFI a présenté au CHSCT de Grenoble son étude (dite expertise) commandée par les CHSCT de Grenoble et Crolles sur le système d’évaluation des performances de STMicroelectronics (ePA).

A l’issue de cette présentation (Expertise ePA ST), les élus du CHSCT présents ont voté à l’unanimité l’avis défavorable suivant :

«A la suite de la consultation du CHSCT sur le nouveau projet d’’évaluation des performances individuelles des salariés de STMicroelectronics Grenoble et Crolles, l’expertise menée par le cabinet SECAFI fait ressortir que le système d’évaluation en place ainsi que son projet « d’améliorations » sont porteur de risques psycho-sociaux.

De plus, certains aspects du système ePA présentent un caractère illégal comme l’utilisation d’une langue étrangère, des pratiques s’apparentant au « fixed ranking »  ou l’utilisation de critères subjectifs, non quantifiables…

Nous notons aussi que :

« L’e-PA représente une période de stress voire de souffrance pour nombre de salariés et managers et peut générer des tensions dans le travail le reste de l’année.

En outre, aucun bilan du dispositif e-PA n’existe en dehors de la répartition des appréciations sous forme d’une gaussienne qui se répète d’une année sur l’autre : son efficacité sur la performance n’est donc pas établie, bien au contraire. »

Enfin, nous avons synthétisé dans le tableau qui suit les constats de SECAFI en termes de risques, de dysfonctionnements et de préconisations auxquelles nous souscrivons :

Facteurs de risques / Dysfonctionnements

Risques / Impacts

Préconisations du CHSCT

Le « thermomètre » permettant à l’entreprise d’évaluer les performances individuelles a donc changé régulièrement et souvent d’échelle de graduation et d’unité de mesure.

– réduction de la possibilité de suivi dans le temps des variations et donc la possibilité pour les salariés de suivre leur progression professionnelle à l’aide de cet outil
– dégradation de la maitrise de l’outil par les utilisateurs, tant les managers que les salariés managés.
– oblige chacun à retrouver ses repères et partager des représentations communes nécessaires à l’objectivité de l’évaluation

Préconisation n° 1. : Faire évoluer e-PA dans sa conception et son utilisation afin qu’il réponde au cahier des charges suivant : pérenne dans le temps, permettre l’expression des salariés, des managers, autoriser la prise en compte des difficultés dans le travail, être en lien avec la reconnaissance du travail et favoriser la progression professionnelle individuelle et collective.

Absence de reconnaissance des conditions réelles dans lesquelles s’exerce le travail

– incompréhension
– sentiment d’injustice
– angoisse
– conséquences négatives:  mal être
– déficit de reconnaissance

Fixation des objectifs individuels à partir de données macro-économiques

– objectifs déconnectés du travail réel
– frustration, découragement, dévalorisation

Pré-rating: pratiques proches du fixed-ranking

–  fixed-ranking illégal

Préconisation n° 2. : Supprimer le processus de pre rating qui dans son application s’apparente à du fixed ranking. Remplacer par un bilan du travail collectif des équipes. et supprimer la note globale (l’ « overall performance »).

Notes fixées à l’avance

– perte de sens du processus d’évaluation
– perturbe salariés et managers
– période avant les entretiens très stressante
– tensions entre salariés et entre salariés/managers
– Inégalité entre les salariés
– perte de confiance vis-à-vis de l’entreprise et des possibilités réelles et justes d’évolution professionnelle
– facteur de démobilisation pour les salariés

Manque de transparence sur le processus d’attribution des notes

Encadrement très strict du changement de note

– mise sous pression du manager
– managers fragilisés quand ils doivent annoncer une mauvaise note et gérer un conflit ou une colère
– conflit de valeur face à des décisions non partagées mais qu’ils doivent assumer

e-PA ne comporte pas de dispositif de contestation digne de ce nom

– point bloquant qui obère gravement le sens de l’évaluation individuelle.

Préconisation n° 3. : Prévoir et communiquer un réel dispositif de recours en cas de contestation des résultats de l’entretien.

Dans un contexte de durcissement des conditions de travail,
impasses fréquentes sur des sujets essentiels : la charge de travail, les difficultés rencontrées, les moyens nécessaires

– angoisse par rapport au niveau d’attente des résultats (volume et délais)
– injonctions paradoxales
– travail empêché (sentiment d’effectuer de la non-qualité par rapport aux valeurs du salarié)
– augmentation des difficultés à atteindre les objectifs, en particulier pour les temps partiels
– la tentation de privilégier le court terme et les comportements individualistes aux
détriments des comportements collectifs (pouvant servir les objectifs des collègues de l’équipe ou des autres
services), dégradant ainsi l’intérêt de l’évaluation en tant qu’outil de mobilisation vers la performance de
l’entreprise,
– renforcement de tensions salarié/ manager

Préconisation n° 4. : formaliser une rubrique listant les moyens donnés aux salariés pour faire son travail et atteindre l’objectif. Intégrer une rubrique reprenant les difficultés rencontrées et les événements (arrêts, changement de poste, de managers, temps de travail, situation de handicap) au cours de l’année pour les prendre en compte explicitement dans les résultats de l’entretien.

Les critères d’évaluation des « comportements professionnels » sont interprétables ou conceptuels

– porteurs de subjectivité
– dispositif « manager dépendant » ou plus exactement dépendant du niveau d’exigence du manager
– sentiment d’injustice
– facteur de RPS.

Préconisation n° 5. : Remplacer l’évaluation des « comportements professionnels» par l’analyse et le retour sur les pratiques professionnelles en traduisant les premiers par des pratiques professionnelles par métier ou par emploi

Empilement de critères difficiles à atteindre

– isolement progressif des salariés
– destruction de la force d’une équipe qui aime à travailler ensemble
– sentiment d’être dépassé, dans l’incapacité d’agir, mis en difficulté professionnelle.

Critère hors cadre professionnel

 – illégal

Préconisation n° 6. : Supprimer les critères illégaux de type « interagir amicalement ».

Critères  d’évaluation interprétables ou subjectifs

– porteurs de subjectvité

Préconisation n° 7. : Supprimer tous les critères d’évaluation conceptuels et subjectifs notamment la rubrique sur les comportements en l’état actuel des choses et donner une définition objective de chacun des niveaux de l’échelle d’appréciation pour les objectifs et le travail rendu.

Absence de définitions claires des échelles d’évaluation

Grand nombre de critères d’évaluation

– porteurs de subjectvité
– hétérogénéité des pratiques
– porteurs d’injonctions paradoxales

Préconisation n° 8. : Supprimer les détails de critères susceptibles de placer le salarié en situations d’injonction paradoxale. Notamment, supprimer la notion de respect des procédures qui contredit l’incitation à être force de proposition

Support d’évaluation en langue anglaise

– illégal
– traduction française approximative
– compréhension aléatoire
– mise en position faiblesse
– stress

Préconisation n° 9. : construire un outil d’entretien et réaliser les entretiens dans la langue maternelle des salariés.

La transformation des prescriptions formation en inscription est loin d’être automatique

– difficultés pour s’inscrire et suivre des formations

Préconisation n° 10. : Créer un lien informatique entre l’outil e-PA et l’application formation de l’intranet via une demande d’inscription.

Pas d’entretien formalisé sur les objectifs dans le cadre de
l’outil ePa pour les retours ou prises de postes

– objectifs d’intégration non fixés
– stress lié à la perspective d’un premier entretien d’évaluation renforcé par l’absence de base factuelle d’évaluation
– subjectivité

Préconisation n° 11. : Rendre accessible l’outil en dehors des périodes d’ouverture afin de rendre possible les entretiens formels de prise de poste, de changement de poste, de retour sur un poste

Aucune consultation des CHSCTsur la mise en
place de ce système d’évaluation et de ses évolutions

– illégal

Préconisation n° 12. : Informer et consulter annuellement le CHSCT sur e-PA contenant un bilan global (exemples : égalité femmes/hommes, avis du service santé au travail sur l’impact de l’e-PA sur la santé des salariés, nombre de demande de recours et le résultat, la comparaison des objectifs des salariés à temps plein et à temps partiel…).

Pas de prise en compte du travail réel au plus près du terrain
Managers non formés à l’analyse de l’activité

– perte de pertinence de l’évaluation
– stress
– malaise desmanagers et salariés

Préconisation n° 13. : Donner les moyens au management de proximité d’observer le travail des salariés pour être en capacité de l’évaluer. Construire avec les managers de proximité un référentiel de management qui liste les bonnes pratiques managériales porteuses de régulation et non pas de facteurs de tension, notamment celles qui renforcent la motivation et non pas la mise en compétition des salariés.

Le temps consacré aux échanges peut être très différent selon les managers, notamment pour les personnes en production

– ne permet pas éventuellement d’argumenter
– génère de la frustration et de l’incompréhension

Manque de régulation des pratiques managériales (en dehors de l’aspect
répartition des augmentations individuelles)

– subjectivité dans la relation managériale

Préconisation n° 14. : Construire et mettre en place un dispositif de régulation des pratiques d’entretien annuel impliquant notamment les ressources humaines et les N+2 et qui aille au-delà de la répartition des augmentations individuelles

Perte de latitude décisionnelle des managers

– risque psychosocial

Préconisation n° 15. : Clarifier le rôle « management » des managers de proximité en termes de leviers d’action, marge de manoeuvre, puis construire et mettre en place le parcours de montée en compétence approprié.

Management de proximité sans réel poids, ni marge de manœuvre

Manque de clarté quant au rôle du management de proximité
(bays leaders: managers hiérarchiques ou fonctionnels, voire collègues?)

– perte de crédibilité

Les pratiques ne sont pas suffisamment homogènes entre les managers

– inégalité de traitement des salariés

Préconisation n° 16. : Constituer des groupes d’expression sur les pratiques des managers afin de permettre un partage des bonnes pratiques et des difficultés rencontrées.

Préconisation n° 17.: Mettre en place une formation pour l’ensemble des managers afin qu’ils partagent réellement le dispositif d’entretien. Favoriser la régulation et la gestion collective de la pratique de l’outil.


Objectifs différents sur des postes similaires

– incompréhension

Le report des objectifs non atteints d’une année sur l’autre sans analyse des causes ni plan d’action pour remédier à la situation l’année suivante.

– situation d’impasse
– salarié renvoyé à sa seule responsabilité en cas d’échec

Manque de transparence sur le mode de fixation des objectifs et absence d’appui face à des objectifs non atteints.

– frustration, de la colère
– un élément fort de démotivation face au travail

Déficit de formation au management
Absence d’échange entre pairs sur leurs pratiques

– subjectivité dans la relation managériale

Logique de recherche de responsable en cas d’erreur

– colère, sentiment d’injustice, démotivation

Préconisation n° 18. : Intégrer un objectif sur la qualité des pratiques managériales (à titre d’exemple la santé au travail des salariés) dans les objectifs des managers.

Jugement de la personne et non du travail réalisé

– sentiment d’injustice
– pression psychologique

Des objectifs exclusivement individuels malgré des fonctionnements en mode projet ou des dépendances inter-fonctions nécessaires pour atteindre le résultat.

Individualisation

– comportements délétères
– rivalités
– mise en concurrence avec des collègues
– destruction des collectifs de travail et  de leur pouvoir de protection et de régulation, de l’action solidaire
– tensions au sein des équipes

Préconisation n° 19. : Introduire des objectifs réellement collectifs et réaliser une évaluation collective de ces objectifs.

Sous-estimation des enjeux du travail collectif

– découragement
– démotivation
– favorise les stratégies individuelles
– encourage le rapport de non entre aide, au
détriment des objectifs communs et à long terme

Fixation des objectifs individuels à partir de données macro-économiques

Le temps nécessaire pour la réalisation n’intègre pas les aspects qualitatifs, les imprévus à gérer…

Objectifs déconnectés du travail, et méconnaissant les difficultés que les salariés peuvent rencontrer dans leur activité réelle

– très éloignée de la réalité de travail quotidienne
– ne prend pas en compte les spécificités liées à un poste
– pas de marge de manoeuvre sur l’individualisation des objectifs, alors même que le dispositif se veut être une « évaluation individuelle
de la performance ».
– salarié seul face à un objectif imposé de plus haut, et sans réels moyens de discuter de sa pertinence ni des moyens nécessaires pour l’atteindre.
– risques de frustration, de découragement, voire de dévalorisation si l’atteinte de l’objectif est jugée perdue d’avance

Préconisation n° 20. : Intégrer dans les objectifs individuels des objectifs qualitatifs qui s’inscrivent dans une logique de progression professionnelle et déclinés en actions concrètes.

Les parties formation et évolution de carrières sont abordées en fonction des managers

– frustration
– perte de visibilité

Des objectifs : parfois trop nombreux, parfois non mesurables, très
peu suivis et manager dépendant

– impossible au salarié d’établir des priorités dans ses activités et d’assurer un réel suivi.
– porte-à-faux entre ce qu’il doit faire et les moyens pour le réaliser, générant stress, angoisse si une partie du travail n’est pas réalisée, et conflit de valeur entre la quantité et la qualité du travail
rendu.

Préconisation n° 21 : Ne définir que des objectifs réellement « SMART », excluant les objectifs corporate cascadés.

rappel de la définition de SMART:

– Spécifique (anglais : Specific) : Il doit être Spécifique à un collaborateur et ne pas dépendre d’éléments dont il n’a pas la maîtrise.
– Mesurable (anglais : Measurable) : Il doit être Mesurable, les indicateurs chiffrés devant être incontestables et reconnus comme tels par le collaborateur.
– Accepté (anglais : Accepted) : Il doit être acceptable par le collaborateur et Accepté .
– Réaliste ou Réalisable (anglais : Realistic) : Il doit être Réalisable et ne reposer que sur la motivation du collaborateur ou être réajusté si le contexte change.
– Temporellement défini (anglais : Time-bound) : Il doit être inscrit dans le Temps, avec une date de fin et éventuellement des points intermédiaires.

Aussi dans l’état actuel de ce projet et vu les risques importants qu’il fait peser sur la santé mentale et physique des salariés, les élus donnent un avis défavorable.

De ce fait, le CHSCT demande que :

  • tous les risques énoncés soient retranscrits intégralement dans le document unique d’évaluation des risques (DUE)
  • le système ePA soit suspendu le temps que la direction présente au CHSCT le plan d’action supprimant tous les risques énoncés et les éléments illégaux. »

Les CHSCT de Crolles 1 et 2 ont émis le même avis.

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